La scène est bien connue. Un Président, casque vissé sur le crâne, gilet fluo sur les épaules, pose devant une machine-outil flambant neuve dans une usine tout juste inaugurée. Les images font le tour des JT. Les mots sont calibrés : souveraineté, renaissance industrielle, Made in France. La France, dit-on, se réindustrialise. Vraiment ?
Depuis quelques mois, un récit fondateur s’installe dans le paysage médiatique et politique français : celui d’un retour triomphal de l’industrie, après des décennies de désindustrialisation. Il est vrai que les annonces de projets industriels se multiplient – notamment dans les secteurs stratégiques comme les batteries, l’hydrogène, ou les semi-conducteurs. La loi Industrie Verte, les investissements massifs dans les « giga-usines » du nord de la France et la multiplication des appels à projets par Bpifrance donnent corps à cette ambition.
Mais derrière cette vitrine léchée, que cache réellement ce récit ? Et surtout, à qui profite-t-il ? Partons à la recherche de ceux que l’on n’entend pas dans cette belle histoire.
1/ Des chiffres en trompe-l'œil
Certes, l’emploi industriel a cessé de reculer. En 2023, on a même enregistré une très légère hausse. Mais attention : nous avons perdu 2,5 millions d’emplois industriels depuis 1980, et le secteur ne représente aujourd’hui que 10 % du PIB français, contre 23 % en Allemagne. Le retour dont on parle reste donc très marginal par rapport à l’ampleur du déclin. C’est un redressement symbolique, pas (encore) structurel.
Et que dire du contenu des annonces ? Une part significative des projets industriels annoncés ces derniers mois sont des relocalisations partielles, souvent très automatisées. La valeur ajoutée réelle créée en France reste limitée. De nombreuses « usines » nouvelles ressemblent davantage à des plateformes d’assemblage ou à des vitrines de communication qu’à des bastions d’un nouveau tissu productif.
2/ À qui profite le récit ?
Le récit de la réindustrialisation est politiquement payant. Il offre un espoir collectif, une forme de revanche contre la mondialisation débridée. Il permet aussi de rassurer les classes moyennes inquiètes de la désagrégation des territoires périphériques. Pour le pouvoir, c’est un levier puissant de reconquête électorale.
Les grands groupes industriels y trouvent également leur compte. Ils captent l’essentiel des aides publiques, des baisses d’impôts de production, et des subventions pour verdir leur image. Ce sont eux les vrais bénéficiaires du storytelling industriel. Le capital, comme souvent, se réinvente plus vite que les territoires.
3/ Qui reste sur le carreau ?
Le récit oublie les oubliés. Il marginalise les sous-traitants en souffrance, les ouvriers précaires, les zones rurales sans projet. Les territoires désindustrialisés – la diagonale du vide, les ex-bassins miniers – attendent encore des retombées concrètes. Le récit national ne descend pas toujours dans les communes.
Et les nouvelles usines ? Elles recrutent, oui. Mais souvent avec des profils très qualifiés, dans des secteurs de pointe. La promesse d’emplois pour tous n’est pas tenue. Pour beaucoup d’anciens ouvriers ou de jeunes peu diplômés, la réindustrialisation reste un mirage. Les inégalités territoriales et sociales ne se résorbent pas à coups de communiqués ministériels.
4/ Réindustrialisation ou greenwashing ?
Il y a aussi un risque d'instrumentalisation écologique. Sous couvert d’industrie verte, on installe des sites très énergivores, on bétonne des hectares de terres agricoles, on promet des circuits courts mais on importe encore les matières premières. L’industrie verte n’est pas automatiquement vertueuse. Elle doit être pensée globalement, au risque de devenir un nouvel avatar du capitalisme à vitrine verte.